Présidé par la direction de l’ICREJ Eleonora Bottini et Thibault Douville, le jury composé du conseil de laboratoire a décerné le premier prix de l’Institut caennais de recherche juridique, ex-æquo, à :
- Fanny Gabroy, pour sa thèse intitulée Essai sur la protection du travailleur numérique par les droits fondamentaux
- et Théo Scherer, pour sa thèse intitulée Le principe du contradictoire en phase d’enquête de police judiciaire
Le prix de 1000€ par lauréat est destiné à contribuer à la publication des thèses auprès d’un éditeur juridique.
Résumés des thèses
Fanny Gabroy, Essai sur la protection du travailleur numérique par les droits fondamentaux
Le numérique s’impose dans tous les pans de la société et galvanise les esprits de ceux qui s’intéressent de près ou de loin au travail. Le numérique est la clé de nouveaux moyens de communiquer, de participation aux décisions collectives, d’exécution de la prestation de travail ou de service, de nouvelles pratiques en entreprise, de nouveaux espaces de travail, de nouvelles organisations de travail, et parfois même de nouveaux métiers. Ces innovations bouleversent notre vision de l’entreprise traditionnelle, celle issue de la Révolution industrielle. Plus encore, les effets produits par les outils numériques sur l’activité professionnelle, essentielle en ce qu’elle permet à l’individu de gagner les moyens nécessaires à son existence et de s’insérer dans la société, inquiètent, effraient, alarment. Des risques pour le travailleur numérique sont renouvelés, tandis que d’autres émergent. Ils sont ceux du contrôle numérique, de la gestion algorithmique, de la communication virtuelle et, corrélativement, de l’éloignement de la communauté de travail. Ils sont ceux d’une dépendance à l’égard d’un donneur d’ordre, voire à la technologie elle-même. Il est pourtant une universalité, qui ne saurait être écartée. Qu’il soit salarié ou indépendant, le travailleur numérique a le droit au respect de son impérative dignité. Les droits fondamentaux ne s’avèrent pas seulement utiles ou pratiques, ils sont alors indispensables et inéluctables.
Aussi, face au phénomène complexe du travail numérique, dont le législateur s’est saisi par touches ponctuelles, éparses et inévitablement partielles, cette thèse a pour objectif d’envisager, par un effort de généralisation et de conceptualisation, la protection du travailleur numérique par le truchement de ses droits fondamentaux. Actant les limites du droit positif, notamment au niveau législatif, elle invite à mettre en œuvre les droits fondamentaux des travailleurs numériques salariés, mais aussi indépendants, dans le Code du travail comme dans le Code de commerce. À partir de cette étude, une conception renouvelée de la protection du travailleur numérique est mise en lumière. Elle peut servir de base tant aux analyses sur les innovations technologiques futures qui continueront d’impacter le monde du travail, qu’à l’édification d’une garantie universelle des droits fondamentaux des travailleurs.
Théo Scherer, Le principe du contradictoire en phase d’enquête de police judiciaire
Depuis plusieurs décennies, l’enquête de police judiciaire est une phase hégémonique de la procédure pénale. Elle supplante aujourd’hui l’information judiciaire en permettant aux enquêteurs de réaliser de nombreux actes d’investigation. En revanche, les droits des mis en cause et des victimes sont incomparablement moins développés en enquête qu’en phase d’instruction. C’est dans ce contexte qu’a émergé la revendication d’introduire plus de contradictoire dans les enquêtes de police judiciaire.En enquête, le contradictoire implique de pouvoir accéder aux actes réalisés par les officiers de police et aux pièces qu’ils ont recueillies, qui sont regroupés dans le dossier de l’affaire. En ayant connaissance de ces éléments, le suspect et la victime seraient en mesure de présenter des observations au procureur de la République et de discuter le déroulement de l’enquête. Toutefois, un accroissement trop important des droits des parties à l’enquête risque de nuire à l’efficacité des investigations. Non seulement des temps d’échanges avec le suspect ou la victime risquent de ralentir la procédure, mais surtout, les stratégies déployées par les enquêteurs supposent parfois de ménager un effet de surprise, ce qui serait impossible en cas d’ouverture d’un droit d’accès permanent au dossier.
Depuis quelques années, le législateur a créé des « fenêtres de contradictoire » en enquête. Cependant, elles sont soumises à des conditions d’ouverture particulièrement restrictives et les dispositions en cause peinent donc à être effectivement appliquées. À partir d’une étude des manifestations contemporaines du principe du contradictoire en enquête et des pratiques afférentes, il est possible de chercher quel degré de contradiction peut être introduit en enquête sans entraver la recherche des infractions et de leurs auteurs.