Le Colloque international « La France et les personnes déplacées dans l’après-guerre, 1944-1951 » qui s’est tenu les 26 et 27 mars 2025 au Mémorial de Caen est l’aboutissement d’un projet scientifique financé mené avec les chercheuses et chercheurs du réseau de l’Institut Convergences Migrations (Collège de France) depuis 2023.
Un événement soutenu par la Chaire Normandie pour la Paix
Ce colloque clôture le projet de l’Institut Convergences Migrations et s’inscrit ainsi dans les événements de la Chaire Normandie pour la Paix « Mémoire et avenir de la paix, Droit, Histoire et Neurosciences pour une paix durable ». Il croise histoire, droit et neuropsy dans une autre histoire de la guerre et de l’après-guerre, une histoire qui met en lumière les enjeux et ambivalences de la construction de la paix. Nouvel ordre mondial et enjeux politiques masquent souvent une autre histoire vue d’en bas, celle des pratiques et des circulations toujours plus complexes que les schémas et catégorisations posées en un temps donné. La paix comme processus complexe et ambivalent, comme pratique appropriée sous des formes variables par les individus et les régimes politiques. Dans le cas des migrations, indéniablement, la paix doit être mise à distance par des approches scientifiques interdisciplinaires et critiques.
Porté par Dzovinar Kévonian, Professeure d’Histoire contemporaine à l’université Caen Normandie (UR7455 – HisTeMé), fellow de l’Institut Convergences Migrations et co-coordinatrice de la Commission scientifique du Comité d’Histoire de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) avec Aline Angoustures (Cheffe de la Mission Archives et Histoire de l’Ofpra), il a été réalisé en partenariat avec le Mémorial de Caen, les Archives diplomatiques, les Archives nationales et la Mission Histoire et Archives de l’Ofpra. Il a reçu le Label national « 80e Libération » et celui de la Chaire Normandie pour la paix « Mémoire et avenir de la paix, Droit, Histoire et Neurosciences pour une paix durable ». Il a également obtenu le soutien financier du laboratoire HisTeMé, de l’UFR HSS et de la Direction de la Recherche de l’université Caen Normandie.
L’Europe des déplacés
Souvent l’histoire s’arrête à la victoire militaire contre l’Allemagne nazie, mais les années et la vie des civils, sur les routes et dans les baraquements ou logements de fortune, qui suivent sont peu documentées. Par ailleurs, cette période est marquée par une succession d’institutions internationales face à la masse des personnes déplacées se trouvant en Europe centrale et orientale, les rescapés de la Shoah, auxquels viennent s’ajouter les néo-réfugiés de la Guerre froide. Elles contribuent dans cette période à la mutation du régime international de protection des réfugiés et apatrides qui existait depuis 1922 avec de nouveaux critères d’éligibilité et d’assistance humanitaire. Nos collègues ont évoqué toutes ces questions, comme les politiques de réinstallation outre-mer des personnes déplacées qui rejouent des pratiques coloniales alors même que la décolonisation est en cours. Transformés en « migrants », les réfugiés et personnes déplacées européens font alors l’objet de sélections et de hiérarchisations qui marquent les prémisses de la politique globale de la main d’œuvre mise en place par l’Organisation internationale des Migrations.
Croisements d’archives et histoire des déplacements post-guerre
Le colloque a été notamment marqué par un passionnant panel d’archivistes qui ont travaillé durant les deux années du projet sur les croisements possibles dans la recherche et l’identification des parcours de réfugiés et de personnes déplacées. Ils ont ainsi permis la mise en ligne de nouveaux inventaires et la mise en relation des fonds des Archives diplomatiques, des Archives nationales et des Archives de l’Ofpra. Deux keynotes remarquables de Daniel G. Cohen (Rice University, Texas, EU) et de Claude d’Abzac-Epezy (Historienne, associée UMR SIRICE, Chargée de mission au Service historique de la défense) ont ouvert les sessions de travail.
Ce projet et son colloque de clôture s’inscrivent dans une première dynamique de recherche, lancée par la Commission scientifique du Comité d’histoire de l’Ofpra il y a quelques années, qui s’attache à explorer, par la pratique et les acteurs, la mise en place des outils et des méthodes autour du statut des réfugiés, ce que nous appelons “administrer l’asile”. Cette dynamique a conduit à une convention entre les Archives diplomatiques et l’Ofpra signée en 2022 pour élaborer un double Guide des sources sur les réfugiés et apatrides dans les fonds des deux institutions, guide qui va prochainement être publié. Ce travail conduit à éclairer, côté français ce que Julia Maspero dans sa thèse appelle une « péninsule d’archives », puisque pour la citer encore « Pour étudier l’histoire des personnes déplacées, on trouvera des archives partout ». Cette dynamique est aussi celle de partenariats noués avec d’autres institutions patrimoniales dont la plus importante, les Archives nationales ainsi qu’avec les archives de l’UNHCR à Genève. Il s’inscrit également dans la dynamique de réseau mise en place par l’Institut Convergences Migrations qui a permis de renforcer les synergies entre les chercheurs et chercheuses depuis 2016.
Consulter la liste des intervenants
Keynote: Daniel G. Cohen (Rice University, Houston), Le problème des réfugiés dans l’Europe de l’après-guerre : entre dramatisation et historisation
Keynote : Claude d’Abzac-Epezy (Historienne, associée UMR SIRICE, Chargée de mission au SHD), L’armée française et la gestion des personnes déplacées
Lucile Chartain (Archives nationales, chargée d’études documentaires au pôles Guerres mondiales, responsable du fonds de l’Organisation internationale pour les réfugiés)
Sébastien Chauffour (Archives diplomatiques, responsable des archives de la Zone française d’occupation Allemagne-Autriche 1945-1955)
Pierre Marchandin (Archives diplomatiques, fonds des Français à l’étranger et des étrangers en France)
Adélaïde Choisnet (Service Archives et Histoire de l’Ofpra, chargée de fonds patrimoniaux)
Laure Humbert (Manchester University), La photographie comme source pour l’étude des personnes déplacées : quelques réflexions méthodologiques
Marianne Amar (Conseillère scientifique, EPPPD-Musée national de l’histoire de l’immigration, fellow IC Migrations), Mettre en scène la réinstallation des ‘intellectuels et spécialistes’. La conférence de Gwatt, 26-30 avril 1948
Aline Angoustures (Cheffe du Service Archives et Histoire de l’Ofpra, associée ISP, fellow ICM), « Un monde à part. » Parcours d’agents entre administrations nationales et internationales (1945-1952)
Thomas Chopard (EHESS, CRH), La place de la France dans les trajectoires des personnes déplacés et réfugiés juifs (zones d’occupation française, métropole et empire)
Pawel Sekowski (Uniwersytet Jagielloński), Les « vraies » personnes déplacées de Pologne en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
Catherine Gousseff (CERCEC, EHESS/CNRS), Le Conseil de recours de l’Organisation Internationale des Réfugiés : une instance au secours des parcours « douteux » de la guerre ?
Dzovinar Kévonian (Université Caen-Normandie, HisTeMé, fellow ICM), Face au chaos des trajectoires : les juristes et les régimes d’éligibilité des réfugiés et personnes déplacées en France (1944-1951)
Julia Maspero (Docteur en histoire, associée CERCEC), Refouler les « indésirables » de France (1945-1951) : Les centres DP de la zone française en Allemagne comme destination de refoulement des travailleurs ex-DPs et des réfugiés juifs clandestins
Daniel Gimenez (Doctorant, Université Paris-Nanterre, ISP), La réinstallation des personnes déplacées en Guyane française
Amine Laggoune (Docteur en histoire, associé CERCEC-HisTeMé), Les déplacés soviétiques et les colonies françaises : enjeux du rapatriement obligatoire vers l’URSS à la sortie de guerre (1944-1947)
Valentin Rhodius (Doctorant, Université Caen-Normandie, HisTeMé), Le transport des personnes déplacées et réfugiés européens en voie de réinstallation via les ports français (1946-1952)
Conclusion : François Rouquet (Université Caen-Normandie, HisTeMé)